Overblog
Editer la page Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
/ / /

" Et je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand " - Missak Manouchian

 

"Un numéro imprimé de l'Humanité clandestine daté de mai 1942 sans autre précision contient un article intitulé La haine est un devoir national et l'on peut y lire : "Dans la lutte à mort qui est engagée entre les peuples épris de liberté et la barbarie hitlérienne, la haine doit gonfler tous les cœurs. En chacun de nous doit monter, impérieux, le désir de faire couler le sang de nos ennemis; le sang de ces brutes nazies, chiens de garde des capitalistes impérialistes allemands; le sang des traitres au service de l'oppresseur de la patrie. (...) Notre haine ne doit pas être impuissante, passive. Elle doit être ardente, combative, génératrice d'action. C'est la haine sacré des patriotes français de 1792 qu'exprime la Marseillaise en lançant le cri guerre "Qu'un sang impur abreuve nos sillons!" Aujourd'hui, haine exige que soit versé le sang des oppresseurs et de leurs valets, pour venger nos morts et libérer notre patrie. La haine agissante, la haine qui frappe l'ennemi, la haine qui ne recule devant rien pour atteindre l'oppresseur et ses laquais, cette haine est un devoir national. Patriotes français, qu'une haine sacrée arme vos bras vengeurs!"... La revue mensuelle l'internationale communiste, qui paraît à Moscou, publie dans sa livraison de mars 1943 une longue étude de Maurice Thorez intitulée "L'offensive victorieuse de l'Armée Rouge rend plus proche insurrection nationale pour la libération de la France"[...] Dont la conclusion proclame, entre autres : "La chasse à l'occupant la chasse au traitre est ouverte.La haine sacrée que leur a vouée le peuple doit éclater en fureur vengeresse. La canaille doit être traquée sans pitié. Plus nous en tuerons, plus vite nous serons libérés et heureux."... Un des principaux titres de la presse clandestine, Combat, dans son édition du Ier septembre 1943, fait à ses lecteurs la recommandation suivante : " N'oubliez pas de haïr un soldat allemand, comme tous les autres est responsable de ce que souffre la France. Chaque fois que nous rencontrons un soldat allemand, notre désir de vengeance se renforce."...  
Toujours en cette même année 1943, lorsque, le 30 mai dans une chambre de l'" Ashdown Park Hotel " , à Coulston South, non loin de Londres, Joseph Kessel et Maurice Druon écrivent Le chant des partisans, ils n'y consacrent pas moins de trois strophes à la même idée :

Ohé, les tueurs
A la balle et au couteau
Tuez vite!

Ici nous vois-tu,
Nous, on marche et nous on tue,
Nous, on crève.

Demain le sang noir 
Sèchera au grand soleil
Sur les routes.

...Quelques mois plus tard, en plein cœur de la France occupée, le poète Paul Eluard écrit un texte qu'il publiera peu après dans le deuxième volume de l'édition clandestine de L'honneur des poètes sous le pseudonyme Jean du Haut. Il lui donne simplement ce titre lapidaire : Tuer. Un poème où il est dit :

Pistolet alfonso

 

 

Il tombe cette nuit
Dans le silence
Une étrange lueur sur Paris
Sur le bon vieux cœur de Paris
La lueur sourde du crime
Prémédité sauvage et pur
Du crime contre les bourreaux
Contre la mort!

 

... Enfin, dernier exemple, l'un des numéros les plus diffusés de défense de la France, celui qui entre le 15 janvier et le 15 mars 1944 connait plusieurs éditions imprimées clandestinement; ce numéro s'ouvre par un éditorial que Philippe Viannay signe comme à l'accoutumée " Indomitus ". Le titre de cet éditorial claque comme un coup de feu : Le devoir de tuer. Son texte, deux ans et demi après le "coup de feu" de Fabien, montre quel chemin a été parcouru. Viannay y écrit notamment : "Le devoir est clair, il faut tuer. Tuer l'allemand pour purifier notre territoire, le tuer parce qu'il tue les nôtres, le tuer pour être libre. tuer les traitres, tuer celui qui a dénoncé, celui qui a aidé l'ennemi. Tuer le policier qui a contribué de manière quelconque à l'arrestation de patriotes. Tuer les miliciens, les exterminer, parce qu'ils ont délibérément choisi de livrer des français, parce qu'ils se sont rués vers la trahison. Les abattre comme des chiens enragés aux coins des rues.Les pendre aux réverbères comme les Dauphinois en ont donnés l'exemple à Grenoble. Les détruire comme on détruit la vermine. "... En constatant à quelle violence vengeresse du langage on en arrivait ainsi, certains auraient-ils l'étourderie de crier au manichéisme? Il faudrait encore une fois leur répondre qu'en ce temps-là, ce n'était pas les hommes qui étaient manichéens, mais la situation, l'époque, la réalité, les choses! La preuve, pas plus celle de Kessel et Druon, la voix d'Eluard s'élevant ainsi n'était pas une voix isolée. Au contraire. Cétait le temps où Pierre Emmanuel commençait un poème par "Je hais" et le terminait par "Il ya la haine et c'est assez pour espérer"; le temps où Pierre-Jean Jouve célébrait "Haine verdoyante aux feuilles vraies"; le temps où Claude Morgan constatait "De chaque pierre et de chaque cœur jaillit la haine"... Etc, etc. car nous pourrions citer bien d'autres couplets de ceux que Jean Lescure appelle très justement le "chant de la vengeance"... Toutefois, soucieux qu'il n'y est pas de malentendu à ce sujet, Jacques Duclos, lorsqu'un quart de siècle plus tard il écrira ses mémoires, tiendra à apporter quelques précisions. "Les exécutions de patriotes auxquelles se livraient les nazis, notera-t-il, si elles provoquaient la peur chez certains, soulevaient aussi de profondes colères, en même temps qu'elles suscitaient des haines tenaces. Et ces haines nous les attisions dans nos écrits. Oui, il fallait haïr les hitlériens car il fallait se battre contre eux. Comment se battre si on ne brûle pas du feu d'une haine sacrée? Cela explique la véhémence de nos propos, la brutalité de nos accusations que nous ne cherchions pas à nuancer. "Nous parlions aussi bien des hitlériens que des nazis oo des boches. D'aucuns pourraient à posteriori trouver que ce dernier mot, en évoquant des résurgences des guerres antérieures entre la France et l'Allemagne, revêtait un caractère chauvin, mais tel n'était pas le sens qu'il prenait sous notre plume, à nous communistes. Peut-être n'en était-il pas tout à fait de même pour certains patriotes non communistes qui luttaient à nos côtés, mais ils ne pouvaient pas ne pas voir que pour nous il n'y avait pas identification entre les hitlériens et le peuple allemand. C'est si vrai qu'il nous arrivait de qualifier de boches les traitres aux service de Vichy..." "Qualifier de boches les traitres", dit Jacques Duclos sans préciser autrement. Il est intéressant d'y regarder de plus près.Que voyons-nous alors? Un tract, par exemple, difusé par le P.C.F. clandestin et où, durant l'hivers 1941-1942, après l'exécution de Gabriel Peri et de Lucien Sampaix, les communistes stigmatisent "les boches de Paris et de Vichy" et écrivent: "Si la responsabilité des Darlan, Laval, Benoist-Méchin, Pucheu éclate aux yeux de tous, celle du vieux boche Pétain ne doit pas en être atténuée..."  Ici les mots disent bien ce qu'ils veulent dire; ici le mot d'ordre "a chacun son boche!"  qui sera lancé quelques mois plus tard, au début d'octobre 1942 par la direction des F.T.P., prend par avance tout son sens. "

 

 

 

(Extrait de "La Resistance - Le Combat Total " de Alain Guérin)  

 

Photo: Pistolet 7.65 de Celestino Alfonso  « Je suis étranger, pourtant je crois que chaque travailleur conscient doit assumer, où qu'il se trouve, la défense de la classe ouvrière ».

 

21 Fevrier 2014

Partager cette page
Repost0